Peut-on encore penser sans se laisser influencer ?
- Marie
- 18 nov. 2019
- 4 min de lecture
Ecrire un article, n’est-ce pas s’approprier une pensée ? La faire sienne ? Ouvrir les portes de son univers ?
Et pourtant, tout n’a-t-il pas déjà été dit ? Que nous reste-t-il ?
Avons-nous vraiment une opinion propre ? Ou n’est-ce que le ramassis de ce qu’on a lu, entendu ? Les traces de ce que l’on a retenu ?
Qu’est-ce qu’une réflexion personnelle ? Peut-on encore avoir une opinion personnelle quand on est abreuvé d’informations ? Abreuvé d’informations qui si l’on y regarde bien sont bien souvent lacunaires.
Combler les lacunes nous permettrait d’exprimer une pensée sérieuse et profonde ? Pas si sûr. Car jusqu’où creuser ?
La plupart d’entre nous se contente de vagues idées sur de grandes questions que nous ne sommes pas toujours, souvent, à même de véritablement comprendre.
Il nous faudrait avoir « toutes les cartes en main », mais encore une fois, est-ce possible ?
Alors, nous débattons et nous tentons de convaincre les autres que nous avons tout de même compris, que nous sommes capables de proposer des solutions, que les autres se trompent…
Jeu de pouvoir, de prise de pouvoir, certainement. Véritable réflexion, sûrement pas.
Conscients de notre faillibilité, de notre faiblesse, devons-nous nous contenter de dire la vérité, de dire : « Je ne sais pas », « il me manque trop d’éléments pour pouvoir apporter une réponse personnelle à cette question » ou pourquoi pas : « mais je peux te résumer ce que j’ai lu à ce propos ».
Peut-être qu’écrire, que débattre, n’est finalement que choisir de passer sous silence cette faiblesse, de faire oublier nos manques, de prendre le masque du connaisseur, d’affirmer sa supériorité.
Et pourtant, n’était-ce pas Socrate qui avait choisi non pas de faire de longs discours, mais d’écouter ses interlocuteurs afin de les placer devant leurs propres contradictions ? Peut-être que la solution est là. Lire, écouter, trouver les failles et ensuite remettre l’ensemble d’une réflexion en question. Ne jamais rester sur une idée fixe, mais considérer que la pensée est en mouvement, que peut-être nous n’avons vu qu’une facette du problème. C’est certes déstabilisant et certains diront dangereux et pourtant n’est-ce pas justement ces remises en cause qui permettent d’avancer, de mieux cerner la complexité de problèmes que trop souvent nous réduisons à de simples peccadilles, destinées à nous mettre en valeur. Peut-être faut-il pour cela plus de modestie. Je n’entends pas par là, décider simplement que nous ne sommes pas capables de réfléchir sur une question et nous laisser porter par la paresse, mais simplement admettre que toute question possède différentes facettes et que pour bien la cerner, il faut les cerner. Mais cela prend du temps et suppose que nous nous penchions sur un problème en particulier. Or, en avons-nous encore le temps ou même l’envie. Aujourd’hui, il faut aller vite, avoir des opinions tranchées, être efficace, ne pas se perdre dans les méandres de la pensée. Montrer ce que l’on sait, ce que souvent nous venons juste de lire et que nous n’avons pas pris la peine de vérifier (à quoi bon ?), voilà le nouveau pari. Il s’agit de briller, d’écraser par son savoir et surtout de cacher le mieux possible les failles. On s’appuie sur quelque autorité reconnue, un auteur célèbre, un journal dit « sérieux » et l’on espère se rendre plus crédible. Si je pense ce qu’il pense, c’est indéniable, personne n’osera me contredire. Se reposer sur la pensée d’autrui devient alors un système à part entière et permet dès lors de ne plus avoir à penser par soi-même. Mais là encore, ce n’est pas si simple. A-t-on vraiment compris l’auteur ? Ne déforme-t-on pas grossièrement se pensée ?
Il me semble pourtant que si l’on prend vraiment la peine d’écouter, certaines idées méritent d’être approfondies et d’autres laissées de côté. Il s’agirait dès lors de faire le tri parmi ce qui nous semble, personnellement (de par notre histoire, nos goûts), important de ce qui nous touche moins. Peut-être dès lors pourrait-on parler de réflexions personnelles ? Même si là encore, le défaut serait de ne choisir qu’un aspect plaisant de la question, tout en rejetant d’emblée ce qui ne nous plaît pas.
L’intérêt du débat serait dès lors non pas de défendre ses idées à tout prix, mais plutôt d’accueillir les idées de notre interlocuteur et de tacher ensemble d’examiner leur validité, de ne pas rejeter les contradictions, mais au contraire de les accepter comme inhérentes au problème. Rien n’est simple et c’est justement ce qui peut nous bloquer, alors que justement la complexité rend la question intéressante et riche. Ne pas rejeter la pensée de l’autre, mais tenter au contraire, si ce n’est de l’accepter, de la comprendre, de la peser et pourquoi pas de l’intégrer à notre propre réflexion.
Alors écrire un article… Donner une opinion personnelle sur un sujet… Pourquoi pas si l’on est prêt à en débattre, à accepter la critique, à ne pas se cacher derrière une autorité, à admettre ses lacunes et à ne pas chercher à les masquer. Mais bien sûr, c’est aussi accepter de se mettre à nu, d’être vulnérable et qui est prêt à le faire ? Qui est prêt à ne pas se cacher derrière les préjugés, les faux semblants, à ne pas suivre l’opinion commune ? A penser différemment ? Certains ont réussi, par moments, c’est le cas de grands auteurs comme Voltaire. Ils ont subi la vindicte du gouvernement et parfois du public. Mais leur force a été de tracer une nouvelle voie, éloignée de la voie communément empruntée, de réveiller les consciences…
En tout cas, cela permet de démontrer que le débat n’est pas clos, ne le sera sûrement jamais et que ce n’est pas forcément grave, qu’au contraire, tout n’est pas dit, qu’il reste encore de la place pour les autres, que l’on peut encore écrire aujourd’hui, que l’on ne tourne pas forcément en rond. Pourvu que l’on soit ouvert, il reste encore de la place, des facettes à dévoiler, des univers à découvrir.
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